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07 octobre 2021

Entre offre perturbée et demande record, focus sur la flambée des prix du bois résineux

Depuis le second semestre 2020, les prix des matières premières sont en nette augmentation. Une tendance qui s’est accélérée à un rythme inédit à la fin du premier trimestre 2021. Loin de toucher exclusivement le bois, cette flambée des prix concerne la majorité des matériaux. Métaux ferreux et non ferreux, matières synthétisées à base de pétrole, PVC, PER, PUR, et, dans une moindre mesure peut-être, le béton. Comment en sommes-nous arrivés là ? Combien de temps cela va-t-il durer ? Explications…

Une demande qui explose

Depuis mars 2020, l’épidémie de COVID-19 a en quelque sorte assigné une grande partie de la planète à résidence. De nombreuses personnes qui ont conservé leur salaire ont rapidement éprouvé le besoin d’améliorer leur habitat et leur cadre de vie. Elles ont entrepris une série de travaux de rénovation, phénomène accentué d’une part par la réorientation des liquidités issues de la disparition des dépenses liées aux activités de loisirs et aux vacances et d’autre part par des taux d’intérêts historiquement bas.

Par ailleurs, aux États-Unis, comme en Europe d’ailleurs, de plus en plus de citadins quittent les centres urbains et investissent dans des maisons unifamiliales avec jardin en zones rurales ou suburbaines pour mieux supporter d’éventuelles nouvelles mesures de confinement.

Enfin, avec la fermeture des frontières, la tendance est également au tourisme local. Des investisseurs se sont focalisés sur le développement des structures de logements locatifs et de loisirs, qu’il s’agisse de gîtes ordinaires ou d’habitats insolites. Effectués en autoconstruction ou réalisés par des professionnels, tous ces travaux contribuent au développement rapide de la consommation de matériaux de construction, notamment des bois sciés.

Une offre complètement chamboulée

Pendant que la demande explosait littéralement et que les carnets de commande s’allongeaient de manière spectaculaire, les entreprises étaient quant à elles confrontées à des fermetures, tantôt partielles et temporaires tantôt totales, imposées par l’évolution des mesures sanitaires à respecter et par les absences pour quarantaine ou maladie du personnel.

L’économie mondiale fonctionnant à flux tendu, la pandémie est venue de ce fait perturber toute la chaîne logistique. Suite à ces fortes perturbations de l’activité économique, l’Europe a par exemple dû faire face à une importante pénurie de containers. Le souci n’étant pas un manque de containers existants, mais bien qu’ils se trouvent au mauvais endroit, au mauvais moment, recentrés sur les lignes Amérique-Asie notamment et causant ainsi des goulets d’étranglement dans la chaîne logistique du transport. Des produits entrant dans la composition de certains éléments de construction n’ont ainsi pas pu être acheminés, notamment les colles nécessaires à la réalisation de panneaux.

Dans ces conditions, difficile de satisfaire tout le monde… et tout de suite, puisque le consommateur actuel n’a pas non plus l’habitude d’attendre.

Une reprise dans le désordre

L’économie reprenant d’abord dans les premiers pays touchés par la crise, avant les suivants, au rythme de la progression de la maladie, c’est depuis la Chine et les États-Unis que les demandes sont d’abord arrivées. La reprise y a été spectaculaire et ces deux pays ont commencé à absorber tous les matériaux de construction qu’ils pouvaient trouver sur le marché. Ils furent suivis peu de temps après par l’Europe, où des investissements publics dopent également l’activité.

Dans un premier temps, cet afflux était profitable aux grosses industries scandinaves, allemandes et autrichiennes, capables d’exporter à un niveau record malgré un dollar fort. Celles-ci ont libéré des parts sur le marché européen, au profit de nos entreprises wallonnes notamment. De quoi certes réjouir les scieurs de résineux, quand on sait que l’Europe a été saturée de bois par la crise des scolytes.

L’appétit américain

Mais les transformateurs américains n’avaient pas anticipé une reprise aussi brutale et rapide. Avec les travaux de rénovation déjà évoqués ci-dessus, les chantiers consécutifs aux récents et nombreux incendies et ouragans, le mouvement de rattrapage du déficit de la construction depuis la crise des subprimes en 2007[1], des investissements publics importants, des taux d’intérêt bas, tous les ingrédients étaient réunis pour relancer la machine économique. De surcroît, la taxe imposée par l’Administration Trump sur l’importation de bois canadien, de loin le plus gros fournisseur des États-Unis, a mis encore plus de pression sur les approvisionnements américains. Début 2021, les gros pourvoyeurs habituels de sciages résineux scandinaves, allemands ou autrichiens n’ont plus suffi pour satisfaire l’appétit américain. La demande était telle que les Américains ont commencé à frapper à toutes les portes en Europe. Les stocks de bois, déjà sous forte pression, se sont vidés rapidement. Malgré une demande européenne également en hausse pour des raisons déjà évoquées, le vieux continent est ainsi devenu en l’espace de quelques semaines le premier exportateur mondial de sciages de résineux.

Des niveaux de prix jamais atteints

Après plusieurs années de relative stabilité, cette demande exceptionnelle couplée à des stocks extrêmement bas a généré un important mouvement de rattrapage du prix des bois sciés résineux. Les chiffres disponibles aux Etats-Unis indiquent que les prix des sciages résineux de construction en longueur variable ont quadruplé entre mai 2020 et mai 2021, passant de quelque 400 $ (USD) à 1600 $/1000 pied-planche (soit de 144 €/m³ à 576 €/m³, avec 1000 pied-planche = 2,36 m³ et le dollar américain à 0,85 €). Le pic a été atteint le 7 mai 2021, avec un prix de 1670 $ (601 €/m³).

Par ailleurs, en ce qui concerne les prix à l’exportation des bois suédois et finlandais, la hausse s’est intensifiée début 2021. La revue spécialisée « Le Commerce du Bois » (avril 2021) rapporte que l’indice des prix à l’exportation du bois scié et raboté en Suède était de 133,1 en février ; soit 6,6 % de plus par rapport au mois précédent et 28,4 % par rapport au même mois en 2020. De même, l’indice des prix à l’exportation du bois scié et raboté en Finlande en février était de 106,9 ; soit 3,0 % de plus par rapport au mois précédent et 10,2 % par rapport au même mois en 2020.

La situation des sciages ne doit cependant pas occulter une envolée encore plus spectaculaire du prix des panneaux OSB dont l’augmentation a été de près de 510 % depuis janvier 2020 avec seulement une faible amorce de recul en juin. L’augmentation du prix des panneaux contreplaqués résineux est, elle, restée plus modérée avec une hausse de 200 % sur le même laps de temps !

Vers une stabilisation, mais à quel prix ?

Toujours selon les indications disponibles aux États-Unis, les prix des bois sciés sont en recul constant depuis début mai. À la mi-juillet, ils sont repassés sous la barre des 700 $ (252 €/m³) pour la première fois en six mois, soit une baisse de quelque 60 % en l’espace de 9 semaines. Avec la reprise des activités de loisirs et des voyages et un taux de vaccination de plus en plus élevé, les Américains semblent lentement se détourner de la construction et de la rénovation ainsi que de l’aménagement de leur habitation, considérant notamment que le prix des matériaux est devenu trop élevé.

Certains experts du secteur s’accordent à dire que les prix des bois sciés vont finir par se stabiliser autour des 600 à 700 $ (216 à 252 €/m³) soit à un niveau plus élevé que les prix historiquement affichés, mais aussi à un horizon assez incertain. D’autres cependant voient cette fourchette s’établir entre 350 et 450 $ (126 à 162 €/m³) fin août début septembre. Bref, les avis divergent, tant sur les montants que sur les délais, qui vont de quelques semaines à plusieurs années. Quoi qu’il en soit, différents éléments vont entrer en ligne de compte :

  • La vigueur du marché de la construction en Chine, aux États-Unis, sans bien sûr oublier l’Europe.
  • La pression sur la ressource européenne exercée par la perspective de la montée des taxes sur les bois ronds russes, qui restent la source majeure des exportations, notamment vers la Chine mais aussi vers la Finlande. Cette réglementation pourrait devenir d’application dès le 1er janvier prochain, mais ses modalités pratiques ne sont pas encore tout à fait précisées (types de produit, essences, etc.).
  • Les aléas climatiques de cet été et leurs éventuelles conséquences sur les conditions d’exploitation, ainsi que le développement des populations de scolytes dans les peuplements d’épicéas en Europe.
  • Les délais de mise en production des nouveaux investissements consentis par les scieries.

Quelles conséquences pour nos scieries de résineux ?

À l’heure actuelle, les scieries de résineux tournent au maximum de leur capacité, régime leur permettant de répondre à une demande normale mais qui s’avère insuffisant pour répondre rapidement à la surchauffe de demande actuelle. Elles ont dans un premier temps pu profiter de cette situation pour déstocker les sciages de choix inférieurs accumulés au cours des années antérieures, mais la fréquence actuelle de changement de prix crée toutefois une instabilité qui ne permet à personne de travailler sereinement. Des prix hors normes exposeraient en effet à moyen ou long terme les scieurs à des risques importants :

  • un possible détournement de certains clients du matériau bois vers des matériaux concurrents ;
  • la perte de clients traditionnels au profit de concurrents nationaux ou internationaux ;
  • une contribution à la disparition de clients par cessation d’activités faute de pouvoir répercuter les prix demandés ou par manque d’approvisionnement.

Quoique les scieries de résineux wallonnes n’exportent vers les États-Unis et la Chine que des quantités limitées, elles doivent néanmoins faire face à une demande européenne accrue du fait des parts de marchés délaissées par leurs concurrents. Dans ce contexte, l’approvisionnement des clients historiques locaux devient plus délicat à assurer.

Et pour les autres professionnels du secteur ?

Tous les segments de la filière bois en aval des scieries et plus généralement tous les utilisateurs de bois résineux sciés sont confrontés à un double problème : une évolution erratique des prix et une grande incertitude relative à la fois aux délais de livraison et à la disponibilité-même des sciages. Lorsque les scieries peuvent encore accepter des commandes, les délais de livraison se sont fortement allongés : de l’ordre de 12 à 15 semaines dans le meilleur des cas.

Ainsi, les négociants rendent des prix dont la validité est de maximum une semaine, et les entreprises de construction éprouvent les pires difficultés à répercuter ces hausses tarifaires auprès de leurs clients qui ne veulent ou ne peuvent accepter de modification au prix établi dans les contrats d’achat ou les devis. Pour ces utilisateurs professionnels de sciages résineux, qu’ils soient charpentiers, menuisiers, constructeurs de maisons bois…, la situation est très délicate. Ils n’hésitent pas à parler de spéculation et d’inconscience. Quelques-uns déplorent le fait de devoir contribuer au phénomène de pénurie en constituant des stocks quand ils le peuvent, mais ils ne voient pas d’autre moyen pour répondre à une demande soutenue de la part de leurs clients. D’aucuns craignent l’anéantissement en six mois de quinze années d’essor de la construction bois. Les conséquences de cette situation sans précédent sont multiples, allant de la réduction de validité des devis à l’introduction de clauses de révision de prix en passant par le report de chantiers… certains allant même jusqu’à accepter des pénalités de retard dans des marchés publics plutôt que de travailler à perte avec en bout de course du chômage économique ou pire, une cessation d’activité.

Le bois ne manque pas

Il est important de rappeler que le phénomène de pénurie touche tant les bois résineux sciés que les différents types de panneaux utilisés dans la construction mais aussi dans l’emballage. Du point de vue de la ressource, la quantité de bois disponible en Europe est suffisante. Selon les statistiques de l’Institut européen de la Forêt (EFI), il n’y a jamais eu autant de bois dans les forêts européennes depuis le Moyen-Âge. L’accroissement annuel en Europe est d’environ 1 milliard de m³, alors que la récolte n’est que de 600 millions m³, même si une partie du solde n’est pas exploitable. Une progression spectaculaire de la construction en bois ne créerait pas non plus de pénurie. Si l’Union européenne venait à réaliser 30 % de ses nouvelles constructions en bois (soit 300.000 habitations par an), la demande complémentaire serait de 10 à 15 millions de m³ de sciages. Quand on sait qu’à elle seule, la Suède en produit 18 millions par an…

Au niveau de la Wallonie, les prix des épicéas sains sur pied reprennent de la vigueur et reviennent progressivement vers le plafond de 2017 ; plafond qui a précédé la crise des scolytes. Dans ce contexte, le risque de surexploitation de la ressource est en revanche bien présent car les propriétaires, qu’ils soient publics ou privés, voudront profiter de l’embellie pour compenser les mauvaises années qu’ils viennent de traverser en raison de la crise sanitaire. Un risque non négligeable pèse donc sur les approvisionnements futurs en bois dont le statut de matériau stratégique s’impose ainsi de plus en plus. Le réchauffement climatique aidant, il devient dès lors indispensable d’investir dès à présent dans une politique de gestion forestière et de renouvellement de la ressource qui garantisse la qualité et la disponibilité de cette matière première dans les années à venir.

Vers plus de protectionnisme ?

En Allemagne, les associations de la construction ont réclamé au gouvernement d’imposer des restrictions aux exportations de bois pour protéger le marché domestique. Mais cette idée a été rejetée au motif qu’imposer des restrictions aux exportations ne serait pas compatible avec la stratégie du gouvernement de soutenir des marchés ouverts et de garantir le libre-échange. En France, la Fédération Nationale du Bois réclame le contrôle des exportations de chêne et veut se tourner vers l’Europe. Plus récemment, la Hongrie envisage d’imposer des restrictions d’exportation des bois sciés pour garantir les approvisionnements d’un secteur de la construction en forte croissance et va aller défendre cette position auprès de l’Union européenne, actuellement peu favorable à ce genre de mesure. Une position qui pourrait toutefois s’assouplir puisque la Russie, grand pourvoyeur de grumes vers la Chine mais aussi vers la Finlande notamment, a pris ce 1er juillet des mesures visant à contrôler ses exportations de grumes et de sciages.

À court terme, la solution réside plutôt dans l’encouragement d’une consommation locale en circuit court, le développement de filières de réutilisation des matériaux et la mise en place d’un soutien réglementaire notamment via les marchés publics[2]. À plus long terme, il sera nécessaire de structurer davantage la mobilisation forestière pour l’adapter à l’évolution de la sylviculture imposée par le changement climatique et de préparer les entreprises à la valorisation des essences secondaires délaissées pour le moment ou des nouvelles essences qui seront plantées. Enfin, ce sont finalement les habitudes de consommation qu’il faudra préparer à ces nouvelles essences et produits.

 

Artcile - Flambée des prix - Graphique 1

Évolution du prix des bois sciés 2x4 de Western Spruce-Pine-Fir Kiln Dried (WSPF KD) de qualité #2&Btr[3] aux USA.

Prix de gros net départ usine.

Source :   NASDAQ. [2021]. https://www.nasdaq.com/market-activity/commodities/lbs.

Données interprétées[4] par l’OEWB.

 

Article - Flambée des prix - Graphique 2

Évolution du prix des panneaux OSB, toutes épaisseurs confondues. Aucune indication de surface ou volume n’est donnée mais on peut penser que c’est par 1000 pieds carré. Dans ce cas la conversion se fera sur base de 0,85 €/USD et de 92,903 m²/1000 pieds carré. Sur cette base, 200 USD/1000 pieds carrés donnera 1,83 €/m² et 1500 USD/1000 pieds carrés, 13,72 €/m².

Source :   National Association of Home Builders. [15/07/2021]. https://nahbnow.com/2021/07/osb-prices-have-skyrocketed-more-than-500-since-january-2020/.

 

[1] Selon la NAHB (National Association of Home Builder), ce déficit serait de l’ordre de 5 000 000 de logements, sachant qu’ordinairement, environ 1 300 000 logements neufs sont annuellement construits aux USA.

[2] Qu’il sera sans doute difficile de concilier avec les exigences de l’UE en matière de libre-échange…

[3] Le classement #2&Btr doit être spécifié lorsque le bois brut de la meilleure qualité est souhaité. Le bois est sain et bien scié. Ses caractéristiques naturelles n'enlèvent rien à la belle apparence du bois.

[4] Les prix du NASDAQ sont donnés en USD par 1000 pied-planche. Ils sont ramenés en €/m³ en considérant qu’un USD = 0,85 € et que 1000 pied-planche = 2,36 m³.


Auteurs: Eugène Bays, Emmanuel Defays, François Deneufbourg, François Sougnez

Article paru dans le Forêt.Nature n°160 (p. 31-37)